Docteur Imago / Début 2017, l’UNCAM a décidé de baisser les tarifs de certains actes réalisés par les radiologues, pour opérer notamment des économies, provoquant le mécontentement des radiologues. Qu’en pensez-vous ?
Jacques Cheminade / La radiologie est un instrument essentiel de prévention, y renoncer pour des raisons budgétaires aggravera les déficits.
D. I. / Le taux d’équipement en IRM en France ainsi que les délais d’attente pour passer un tel examen inquiètent les professionnels de santé en imagerie médicale. Le système d’autorisation pour les équipements lourds en imagerie médicale doit-il évoluer, dans son concept même et/ou son application ?
J. C. / Le taux d’IRM est victime de l’austérité. La France doit rattraper son retard en imagerie médicale et équiper d’urgence tous ses hôpitaux avec l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Dans les pays scandinaves, 60 à 70 % des patients AVC sont directement pris en charge par des équipes dédiées, regroupées dans des unités neurovasculaires (UNV) équipées d’IRM et formées aux meilleurs soins, alors qu’en France, ils sont moins de 20 %.
Pour nous, au lieu d’être une charge, les UNV doivent rapidement être au cœur des unités de neurologie des services hospitaliers, qui doivent disposer d’un plateau technique comportant une IRM prioritaire au service. Aux médecins et personnels hospitaliers spécialisés, il faut adjoindre en permanence une unité paramédicale de haut niveau technologique, opérationnelle en cas d’urgence : des manipulateurs radio disposant d’un plateau de télémédecine pour opérer rapidement. Ces équipes doivent aussi pouvoir assurer une prise en charge du patient 24h/24, si importante pour réduire le risque de décès ou de dépendance. L’UNV deviendra ainsi non seulement un pôle d’expertise thérapeutique et diagnostique, mais pourra également assurer au jour le jour le suivi du patient, ses traitements médicamenteux et jusqu’à sa rééducation. Les bénéfices d’un tel programme sont bien sûr incommensurables, car il permet de prolonger la vie humaine sans handicap.
D. I. / Les radiologues souffrent, comme les autres médecins, d’une pénurie démographique. Comptez-vous agir pour pallier ce problème ?
J. C. / Pour former et intégrer le personnel médical nécessaire à notre pays, il faut augmenter le nombre de professionnels formés en prenant en compte la durée particulièrement longue des formations dans cette profession. Le gouvernement actuel a bien augmenté le numerus clausus, c’est-à-dire le nombre de places offertes, mais je suis convaincu qu’il faut aller beaucoup plus loin. Jusqu’à dix mille places sont nécessaires pour rattraper les retards pris, redonner un essor aux filières déficitaires et compenser les départs massifs à la retraite d’ici 2020 et surtout 2025.
D. I. / La loi créant les groupements hospitaliers de territoire prévoit une mutualisation des moyens techniques et humains en imagerie médicale. Cela va-t-il dans le bon sens ?
J. C. / Il ne s’agit pas, hélas, d’une mutualisation de moyens en hausse. L’esprit des « réformes » actuelles envisage la santé comme une dépense à court terme, alors qu’il s’agit d’un droit et d’un investissement « rentable » pour la société. Par exemple, les scanners sont un axe vital du service des urgences tout comme le service de chirurgie l’est pour un hôpital. Supprimer leurs moyens technologiques sous prétexte de rationaliser les coûts, c’est condamner à fermer ces services vitaux au détriment des usagers.
D. I. / 47 % des postes de radiologues exerçant à l’hôpital ne sont pas pourvus, d’après plusieurs représentants de la profession. Comment imaginez-vous agir pour garder les professionnels dans le secteur public ?
J. C. / En premier lieu, il faut revaloriser les rémunérations des professionnels dont les tarifs sont aujourd’hui sous-cotés. Chaque IRM coûte entre 1 et 5 millions d’euros et nécessite un personnel hautement qualifié. Il faut équiper le territoire d’un nombre suffisant pour d’un côté diminuer les délais d’attente des patients en IRM, et d’un autre côté former rapidement un personnel suffisant. En ce sens, il n’est pas question de diminuer le personnel, mais de l’augmenter.
D. I. / Les médecins libéraux critiquent la mise en place du système de tiers payant généralisé. Comment voyez-vous leur place dans le système de santé ?
J. C. / Il faut créer une assurance-maladie universelle couvrant l’ensemble des dépenses de santé, en incluant dans la Sécurité sociale la couverture complémentaire aujourd’hui essentiellement assurée par les mutuelles et les assurances. Cette Sécurité sociale intégrale comporterait un seul payeur et non plus les quelque cinq cents organismes complémentaires qui sont source de complexité, d’iniquité et de coût : plus de moyens à consacrer aux soins et moins aux procédures administratives. Le ticket modérateur serait ainsi supprimé. C’est un avantage, car il a actuellement un effet dissuasif sur les soins courants moins bien remboursés et entraîne un déport vers les soins plus lourds, les soins pour affections de longue durée (ALD), remboursés, eux, à 100 % dans les limites des tarifs de la Sécurité sociale. Cependant, pour responsabiliser l’assuré, il serait bon de lui prélever une somme de l’ordre de cinq euros lorsqu’il n’honore pas ses rendez-vous sans s’être décommandé, comme cela se produit hélas trop fréquemment.
D. I. / La radiologie interventionnelle fait l’objet de nombreuses avancées en termes de traitement mini-invasif pour les patients. D’un autre côté, les radiologues déplorent le manque de remboursement dans cette spécialité. Favoriserez-vous le développement de cette discipline ? Avec les radiologues ?
J. C. / La santé du futur sera hautement technologique et les métiers d’avenir sont ceux liés à la radiologie et à la télémédecine. L’innovation doit être promue, avec le développement de l’ambulatoire, la multiplication des robots chirurgiens et la recherche sur les biotechnologies. Dans ce contexte, la radiologie interventionnelle a une place importante.
D. I. / L’article 99 de la loi de santé prévoit une possibilité pour l’UNCAM de décider unilatéralement les tarifs en imagerie lourde, en court-circuitant le conventionnement négocié avec les professionnels concernés. Qu’en pensez-vous ?
J. C. / Je soutiens l’appel de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) et condamne les décisions de l’UNCAM d’appliquer des baisses tarifaires en imagerie médicale. Je me battrai pour arrêter le triage des soins en matière de santé publique et le harcèlement dont sont victimes les médecins et les soignants dans les hôpitaux publics : réduction des moyens, malades traités à flux tendus, chaque fois plus de gestion et dépréciation constante du travail humain, comme partout.
D. I. / Le décret d’actes des manipulateurs d’électroradiologie médicale prévoit la délégation possible de l’échographie par les médecins. Cela doit-il être encouragé ? Dans quel but ?
J. C. / Le médecin spécialisé peut déléguer certains actes, mais dans ce cas, les manipulateurs restent associés avec un radiologue pour les comptes rendus. Il faut aussi garantir à ces manipulateurs un salaire plus élevé.
D. I. / Souhaitez-vous rajouter quelque chose ?
J. C. / Si nous ne sauvons pas la santé publique, la Sécurité sociale et l’hôpital public « par le haut », c’est toute notre société qui se disloquera et avec elle, tout sens de solidarité et de progrès, dans une forme de rapports sociaux qu’il faut bien appeler une « culture de la mort ». La mise en garde que je fais ici n’a rien d’excessive : la santé, comme le travail, n’est pas une marchandise.
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