Tribune

Mise en danger de l’imagerie médicale des CHU : les chefs de pôles en appellent solennellement aux politiques réunis en Ségur de la Santé

Alors que les participants au Ségur de la santé débattent de l’avenir de l’offre de soins et des hôpitaux en France, le collège des chefs de pôle d’imagerie en CHU sonne l’alarme sur les difficultés que connaît la spécialité et exhorte les décideurs à tirer les leçons de la crise du COVID-19.

Le 19/06/20 à 15:00, mise à jour hier à 14:09 Lecture 6 min.

L‘imagerie souffre de plus en plus dans nos CHU de problèmes d’effectifs, d’équipements, d’organisation (photo d'illustration). © C. F.

Nous, Chefs de Pôle d’imagerie des CHU français alertons sur les difficultés croissantes au sein des services d’imagerie hospitalo-universitaires, qui font craindre un point de rupture irréversible. Il entraînera à court terme notre incapacité à assurer nos missions de soins, d’enseignement et de recherche et par la même l’impossibilité de nos CHU de faire face à une nouvelle crise sanitaire. Ce sont les enjeux du Ségur de la santé, consultation dont de nombreux acteurs de terrain sont exclus.

L’imagerie occupe une place centrale dans les soins hospitaliers, car la plupart des patients de nos CHU ont besoin d’échographies, de radiographies, de scanners, d’IRM, de TEP ou de scintigraphies. À cette fin, les plateaux d’imagerie des CHU comptent plus de 150 scanners, 140 IRM, 40 TEP installés au sein de 30 pôles et réalisent chaque année près de 1,7 million de scanners (sur environ 4,8 millions/an en France), 750 000 IRM, 4 millions de radiographies standards, près de 2 millions de radiographies au lit du patient… Au sein de nos pôles d’imagerie sont réalisés entre 8 et 9 millions d’actes par an pour nos patients. Lors de la crise sanitaire du COVID-19, les équipes d’imagerie ont assuré une prise en charge optimale de tous les patients.

N’oublions pas que tous les patients hospitalisés avec COVID-19 ont été diagnostiqués et suivis grâce à l’imagerie qui a su s’organiser. N’oublions pas non plus que les personnels soignants de nos services ont été tout particulièrement exposés au risque de contagion du fait de la réalisation des radiographies et des scanners thoraciques, ainsi que d’autres examens d’imagerie indispensables.

L’imagerie est devenue au fil des ans un des éléments essentiels du dépistage (mammographie pour les cancers du sein, scanner thoracique basse dose pour les cancers du poumon, etc.), du diagnostic, de l’évaluation du pronostic et du suivi de la majorité des maladies. Par ailleurs, l’imagerie interventionnelle constitue une innovation thérapeutique, peu invasive, qui poursuit son développement de façon considérable. L’imagerie bénéficie de progrès technologiques très rapides et y contribue, y compris en intégrant tout le bénéfice de l’intelligence artificielle. Enfin, grâce à la télémédecine, l’imagerie des CHU est bien coordonnée avec les équipes d’imagerie au sein des différents territoires et des régions.

Pourtant, l’imagerie souffre de plus en plus dans nos CHU de problèmes d’effectifs, d’équipements, d’organisation, qui avaient déjà été mis en évidence dans le rapport de la Cour des comptes d’avril 2016. Ces manques risquent de mettre en péril l’ensemble du parcours de soins des patients pris en charge dans nos CHU. L’imagerie cristallise les enjeux et difficultés partagés lors de la mise en œuvre de la refonte de l’organisation des soins. C’est à cela que doit répondre le Ségur de la Santé, en y ajoutant la préparation des générations futures de soignants et la transformation des structures de soins dans un avenir proche.

Transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent

Le personnel paramédical, et en premier lieu les manipulateurs en électroradiologie médicale et leur encadrement n’ont pas la reconnaissance qu’ils méritent, alors qu’ils sont des soignants à part entière. Quant au personnel médical, il quitte régulièrement nos CHU pour rejoindre d’autres établissements de santé. Un choc d’attractivité est indispensable au sein de nos CHU pour de nombreuses professions médicales et ceci doit être au cœur d’une réflexion de fond afin de trouver rapidement des solutions innovantes et originales.

Définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins

La politique de restriction budgétaire des années passées s’est faite dans la plupart des CHU au détriment du maintien d’équipements performants, qui autrefois étaient la fierté de nos centres hospitalo-universitaires. Certains CHU sont contraints simplement pour des raisons économiques de juste remettre à niveau des équipements dépassés, comme par exemple des IRM qui ont plus de 10 ans, et uniquement pour des raisons économiques. Or, les CHU, structures de soin de recours par excellence, doivent pouvoir réaliser les examens au meilleur de la technologie et doivent rester les lieux privilégiés de l’évaluation des innovations technologiques. Nous ne reviendrons pas sur les effets délétères de la tarification à l’activité, la T2A, que nos gouvernants ont reconnus et qui devraient en partie disparaître.

Simplifier les organisations et le quotidien des équipes

Comme dans les autres disciplines médicales, le personnel médical croule sous la bureaucratie, les réunions souvent inutiles, les tracasseries administratives croissantes, les tableaux d’activités et de rentabilité financière. Le dialogue entre médecins et administratifs disparaît progressivement et dans certains CHU, les médecins ne sont souvent même plus consultés pour les choix de leurs outils de travail ou de leurs collaborateurs. Le Ségur de la Santé devra répondre à ces enjeux de rééquilibrage et de simplification des organisations afin de rendre possible l’agilité nécessaire pour les investissements, les recrutements, les projets innovants. Le besoin d’autonomie décisionnelle et organisationnelle est de plus en plus fort, les responsables médicaux souhaitant se prêter à une évaluation indispensable.

Préparer la médecine de demain et garder une recherche médicale de pointe

Les CHU sont les structures qui ont pour mission de former les futurs médecins et de mener une recherche clinique d’excellence. Ils sont indissociables des facultés de médecine dans lesquelles nous formons plus de 9 000 nouveaux médecins par an. Or, dans nos disciplines, les postes de professeurs et maîtres de conférences ne font plus rêver les jeunes médecins. Il devient difficile de trouver des candidats, alors que la moyenne d’âge des médecins hospitalo-universitaires ne cesse d’augmenter et fait craindre pour l’avenir de la médecine. En effet, sans enseignant dans nos facultés, comment formerons-nous les médecins de demain ?

À côté de l’enseignement, les CHU sont les structures dans lesquelles l’immense majorité de la recherche clinique est réalisée. Cette recherche médicale nécessite des équipements modernes et au meilleur niveau de technologie. Ils manquent aujourd’hui dans de nombreux CHU, tout comme des personnels formés à cette recherche clinique et à sa rigueur, dont on a tant parlé pendant la crise du COVID-19.

Malgré nos actions, nous ne sommes pas entendus, et encore moins écoutés. Nous assistons, impuissants, au déclin de ce qui était considéré comme un système de santé hospitalo-universitaire au meilleur niveau. Or, il n’est pas trop tard pour agir. La gestion exceptionnelle de la crise du COVID-19 par les unités de terrain a bien mis en évidence les dysfonctionnements qui font couler le système : lorsque le personnel médical et paramédical a repris la main, un autre hôpital est devenu possible en l’espace de quelques semaines. Pourtant, déjà, nous observons le retour en force de l’administratif et de ses dérives. Les enseignements de cette crise devraient servir et le vrai rôle des médecins être considéré. Le pouvoir politique serait-il déjà en passe d’oublier les leçons des mois passés ? Nous ne voulons pas croire à cette éventualité.

Notes

Liste des signataires : Pr C. AUBÉ, Angers, Pr J-M. BARTOLI, Marseille, Dr J. BAUD, Caen, Pr J-P. BEREGI, Nîmes, Pr L. BOYER, Clermont-Ferrand, Pr L. BRUNEREAU, Tours, Pr R. CARLIER, Paris, Pr P. CHEVALLIER, Nice, Pr O. CLEMENT, Paris, Pr P. CROISILLE, Saint-Etienne, Pr J-N. DACHER, Rouen, Pr E. DELABROUSSE, Besançon, Pr D. DORMONT, Paris, Pr F. COTTON, Lyon, Pr G. FERRETTI, Grenoble, Pr A. GANGI, Strasbourg, Pr J-Y. GAUVRIT, Rennes, Dr P. GUILLO, Brest, Pr B. GUIU, Montpellier, Pr G. KARCHER, Nancy, Pr F. KRAEBER-BODERE, Nantes, Pr S LARRE, Reims, Pr A. LUCIANI, Paris, Pr F. PARAF, Limoges, Pr F. RICOLFI, Dijon, Pr N. SANS, Toulouse, Pr F SEMAH, Lille, Pr J-P. TASU, Poitiers (démissionnaire), Pr H TRILLAUD, Bordeaux, Pr H. VERNHET-KOVACSIK, Montpellier, Pr T. YZET, Amiens.

Auteurs

Franck Semah

Chef de pôle imagerie et explorations fonctionnelles CHRU de Lille

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