Afshin Gangi

« Nous n’existerons plus dans 20 ans si nous ne sommes pas cliniciens »

En ostéo-articulaire, en oncologie, en vasculaire, comme dans d’autres domaines, l’imagerie interventionnelle se développe à grande vitesse. Pour Docteur Imago, Afshin Gangi, chef du pôle de radiologie interventionnelle du nouvel hôpital civil de Strasbourg, revient sur ses enjeux et ses perspectives.

Le 20/01/17 à 12:00, mise à jour aujourd'hui à 14:07 Lecture 7 min.

« Nous devons voir les patients, savoir les envoyer à des confrères si besoin, assurer le service postinterventionnel », estime Afshin Gangi, radiologue interventionnel et chef du pôle d'imagerie interventionnelle du nouvel hôpital civil de Strasbourg. © V. F.

Docteur imago / Qu’est-ce que la radiologie interventionnelle ?

Afshin Gangi / Le domaine de l’imagerie interventionnelle (II) englobe tous les gestes percutanés invasifs réalisés sous contrôle d’imagerie. Cela va de la simple biopsie aspiration jusqu’aux traitements complexes des tumeurs, en passant par les tests thérapeutiques.

D. I. / Cette modalité est en plein essor…

A. G. / Dans notre service, le nombre d’actes augmente de 20 % par an depuis 10 ans. En 2016, nous avons reçu 14 000 patients. La situation est la même dans la plupart des services d’II. La demande a été créée au départ par de simples gestes de biopsie ou des gestes vasculaires. Aujourd’hui, nous faisons partie intégrante de la thérapeutique et du diagnostic. Nous souffrons d’ailleurs d’un manque de médecins formés. À l’ouverture du nouvel hôpital civil (en 2009, NDLR), nous avons mis les moyens maximums avec trois blocs opératoires hybrides. Au départ, c’était un gros pari. En 2017, c’est insuffisant.

D. I. / Comment expliquez-vous ce développement ?

A. G. / Par la nécessité d’être moins invasif et plus rapide. Il y a aussi un besoin thérapeutique. Nous ne faisons plus de « simple biopsie » juste pour repérer les tumeurs. On nous demande des « nouvelles biopsies » pour connaître les changements génétiques moléculaires afin d’adapter les traitements et de réduire le délai entre le diagnostic et le traitement. Autre exemple : lors d’une hémorragie de la délivrance, par exemple, nous ne faisons plus d’hystérectomie mais une angiographie et une embolisation.

D. I. / Quelles sont les techniques qui se développent le plus ?

A. G. / Dans notre équipe, nous développons l’oncologie et le traitement de la douleur. Le côté vasculaire est toujours là avec l’embolisation en urgence, la mise en place de stents, l’embolisation des tumeurs, etc., mais l’oncologie a le vent en poupe. Nous pratiquons toutes les techniques physiques de destruction des tumeurs (chaud, froid, radioembolisation, chimioembolisation, etc.) et, souvent, une seule n’est pas suffisante. Les traitements sont individualisés en fonction du patient et de sa pathologie.

D. I. / Quels sont les échecs, les réussites ?

A. G. / Nous avons abandonné des techniques car elles n’étaient pas utiles ou ont été supplantées. J’ai été le premier au monde à traiter les métastases osseuses par voie percutanée en injectant de l’alcool et j’ai arrêté le jour où les techniques thermiques sont arrivées. Les réussites sont nombreuses. La technique de vertébroplastie qu’Hervé Deramond a mise au point est l’un des exemples les plus frappants : les patients victimes d’une fracture vertébrale remarchent quelques heures après l’intervention ! Le traitement des métastases ou des tumeurs osseuses bénignes est un autre succès car il élimine à la fois la tumeur et la douleur. Le traitement de la douleur est très valorisant. Quant à l’embolisation, elle a changé la médecine.

D. I. / Comment la France accompagne-t-elle le développement de l’imagerie interventionnelle ?

D. G. / Nous avons une chance inouïe en France. On nous donne la possibilité d’évaluer des nouvelles techniques. Quand l’une d’entre elle fonctionne, nous pouvons traiter les malades, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays. En revanche, on les pérennise mal et on ne les rembourse pas à leur juste valeur, ce qui empêche certains hôpitaux de les mettre en place.

D. I. / L’aspect financier est donc un frein ?

A. G. / Oui. Les techniques sont coûteuses. Il faut les meilleures machines d’imagerie, les meilleurs médecins. Et un seul médecin ne suffit pas : il faut un radiologue, un spécialiste et un anesthésiste alors que le remboursement des actes est inexistant. La codification doit évoluer. Aujourd’hui, je ne peux pas coder une cryothérapie du rein et son remboursement est ridicule. On nous demande de fournir une preuve scientifique de l’utilité du geste en menant des études randomisées en double aveugle mais c’est impossible avec certaines techniques. Nous disposons néanmoins de séries de plus en plus larges qui prouvent leur efficacité. Nous avons la chance d’avoir un remboursement universel mais il est lent. Résultat : nous perdons de l’argent. Malgré cela, nos hôpitaux ont compris l’intérêt de ces techniques, les cliniciens nous soutiennent, le service rendu est énorme. D’un point de vue socio-économique, nous sommes gagnants.

D. I. / La formation du radiologue en interventionnel va-t-elle évoluer ?

A. G. / Oui, nous aimerions voir instaurer des normes européennes de formation, avec une durée obligatoire. Cela doit servir à tous ceux qui veulent faire de la RI, pas seulement les radiologues. Il faut établir des exigences pour faire une embolisation, notamment en radioprotection.

D. I. / La formation du manipulateur en imagerie interventionnelle doit-elle être renforcée ?

A. G. / Oui, il faut des manipulateurs dédiés, qui connaissent bien leur travail. J’ai envoyé ceux du service en formation au bloc. J’ai besoin qu’un manipulateur sache se laver les mains, s’habiller stérilement, mettre des champs et présenter un instrument.

D. I. / Le cardiologue occupe déjà une place prépondérante en imagerie interventionnelle. Les autres spécialistes ne vont-ils pas vouloir s’y mettre et écarter les radiologues ?

A. G. / Oui, le risque existe, il est énorme. En chirurgie vasculaire, les chirurgiens vasculaires ont pris notre job dans beaucoup d’endroits. À Strasbourg, nous ne faisons plus de dilatation. S’ils le font bien, il n’y a aucun problème. Nous perdons du territoire lorsque nous n’arrivons pas à assumer le côté clinique. Il faut voir le patient, sa pathologie et l’envoyer à un confrère si besoin. Une fois le geste réalisé, il faut assurer le service postinterventionnel. De la sorte, les chirurgiens nous respectent. Quand il y a un problème, nous sommes là pour assurer le malade. Dans la formation des radiologues, il y avait très peu de clinique. Les personnes qui font de l’II ont maintenant la même mentalité que les personnes qui font de la chirurgie. Les médecins de ville m’envoient directement leurs patients. Pour les cancers du rein, je vois tous les patients avec l’urologue. Nous travaillons ensemble avec les orthopédistes, urologues, neurochirurgiens, etc. Si un chirurgien veut faire de la CGI, il doit faire ses semestres de formation et il en est de même pour les radiologues qui veulent faire de la cœlioscopie. Ces règles devront être écrites et la formation doit être la même pour tous. Si nous ne sommes pas cliniciens, dans 20 ans, nous n’existerons plus.

D. I. / Quelles difficultés rencontrez-vous en matière de radioprotection ?

A. G. / À Strasbourg, nous sommes en avance. Dès le départ, nous avons eu des détecteurs qui affichent les rayons X en temps réel, ce qui permet de changer son attitude à la volée. Tous les services n’en sont pas équipés car c’est cher. De manière générale, tous les instruments de radioprotection coûtent cher (tablier, paravents, etc.) et certains centres ont des difficultés. La formation à la radioprotection est obligatoire en France, mais les chirurgiens qui font de l’II doivent être formés.

D. I. / Quelles techniques comptez-vous développer à l’avenir ?

A. G. / Les ultrasons focalisés m’intéressent beaucoup. C’est une technique peu invasive, on peut coaguler les tumeurs en profondeur et faire la même chose qu’une ablation thermique. Cette technique permet la délivrance de médicaments et l’ouverture des membranes cellulaires. En chauffant la tumeur à 42 °C, la concentration de certains médicaments devient 100 fois supérieure. Nous travaillons sur l’utilisation de médicaments très toxiques qu’on encapsule et qu’on ouvre grâce aux ultrasons focalisés. Cela permettra de baisser la dose de produits et le coût. La dernière chose qui me fait rêver est l’immunothérapie, qui consiste à accentuer la réponse immunitaire. Elle est en train de transformer la cancérologie. Nous allons entrer dans le côté plus biologique des traitements et c’est le radiologue qui est le mieux placé pour le faire.

D. I. / Quel est le lien entre l’imagerie interventionnelle et les autres spécialités d’imagerie ?

A. G. / Nous avons un lien avec toutes les modalités d’imagerie. Nous avons maintenant accès à la TEP-TDM et nous réalisons les gestes d’ablation pour des tumeurs visibles uniquement à la TEP. Le rapprochement est obligatoire avec la médecine nucléaire. Nous allons demander une TEP-IRM dans les années à venir. Il faut savoir travailler tous ensemble et non se phagocyter.

Auteurs

Virginie Facquet

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