Il est 7 heures, ce 2 juin 2015. Jasmine Prodhomme, Sophie Anselme et Patricia Gauthiez, trois manipulatrices de l’hôpital Saint-Éloi, à Montpellier, s’affairent à la préparation de la salle d’imagerie hybride multimodale. D’ordinaire dévolus au scanner diagnostique, les lieux s’apprêtent à accueillir trois modalités d’imagerie médicale : tomodensitométrie, fluoroscopie et échographie, qui vont toutes intervenir dans la prise en charge par thermoablation de patients atteints de tumeurs du foie. Les manips connaissent leurs gestes par cœur : installation d’un arceau de fluoroscopie et d’un échographe interventionnel, branchement de l’écran de 56 pouces qui permettra au radiologue de visualiser le nodule tumoral et la progression de la procédure, préparation du matériel, aseptisation…
Avant l'arrivée du premier patient, les manipulatrices installent le matériel et s'assurent de l'asepsie de la salle.
Détruire la tumeur par la chaleur
«Les manipulateurs du service ont participé et réfléchi avec toute l’équipe à l’implantation du matériel dans la salle, y compris les rangements. Pour vaincre leurs appréhensions, il était important qu’ils créent leur propre outil de travail. Cela a été une des clés de la réussite, explique Romuald Le Plapous, cadre du service d’imagerie de Saint-Éloi et manipulateur de formation. Tout a été pensé pour être modulable.»
Mis en service en janvier 2015, cet équipement multimodal modulaire est unique en France et un des premiers au monde de ce type, selon le CHRU de Montpellier. Il permet aux patients souffrant d’un cancer du foie de bénéficier des dernières avancées en matière d’imagerie interventionnelle et de traitements mini-invasifs. La thermoablation percutanée par radiofréquence ou par micro-ondes existe pour sa part depuis plusieurs années, même si la technique continue de s’affiner. Sous guidage de l’imagerie, le radiologue interventionnel introduit une aiguille au centre de la tumeur et y fait passer un courant électrique qui génère de la chaleur et détruit la tumeur en la brûlant. Ce geste, réalisé durant une courte anesthésie générale, nécessite une hospitalisation de 24 heures et permet au patient de reprendre une activité normale dès le lendemain de l’intervention.
Pendant que le patient est amené dans la salle, le radiologue et une équipe pluridisciplinaire consultent les clichés réalisés en amont.
Un nodule placé près du cœur
7 h 30. Le premier patient, arrivé la veille à l’hôpital et mis au courant de la procédure, entre dans la salle multimodale, sous anesthésie générale. Pendant ce temps, Boris Guiu, radiologue interventionnel et coordonnateur du service d’imagerie médicale, pôle digestif, du CHRU de Montpellier, consulte avec une équipe pluridisciplinaire les clichés de scanner et d’échographie réalisés quelques semaines plus tôt. Les manipulatrices réalisent un nouveau scanner pour vérifier si des anomalies ont évolué. Le patient a deux nodules cancéreux au foie. L’un est visible en échographie, mais il est trop près de l’estomac. Il faut donc réaliser une hydrodissection, à savoir une injection d’eau (la solution G5), entre la tumeur et l’estomac pour isoler ce dernier de la chaleur produite par l’aiguille de thermoablation. Le second nodule est invisible à l’échographie et au scanner. L’injection de Lipiodol® est requise. Ce produit de contraste va tatouer les nodules, permettant leur discernement au scanner ou à l’échographie. Second problème : la tumeur est placée très haut contre le cœur. Il faut donc, avant de commencer la thermoablation, réaliser une manœuvre de recrutement respiratoire. Elle consiste à gonfler les poumons du patient, ce qui abaisse automatiquement le niveau du diaphragme, autorisant un accès simple et rapide à la tumeur, sans risque pour le patient. La troisième modalité d’imagerie, la fluoroscopie, est tout aussi indispensable puisqu’elle permet de cathétériser les artères alimentant la tumeur, pour injecter le Lipiodol® et la rendre visible manière pérenne. Elle permet aussi de boucher de manière temporaire ou définitive ces artères ou veines qui seraient au contact de la tumeur. L’objectif est d’éviter que le sang circulant à 37 °C ne vienne «refroidir» la tumeur qu’on essaye de détruire par la chaleur.
L'injection de Lipiodol® permet de discerner les tumeurs invisibles au scanner et à l'échographie.
Des possibilités « infinies »
10 h 30. Le traitement de thermoablation est terminé. Les trois modalités d’imagerie ont toutes joué leur rôle. «Il est indispensable d’avoir les trois afin de les visualiser en même temps sur un grand écran», assure Boris Guiu. Le couplage d’images provenant des trois modalités est aussi couramment utilisé. «Toutes les tumeurs ne sont pas visibles au scanner ou à l’échographie. L’injection d’un produit de contraste peut certes permettre de rendre visible une lésion au scanner pendant 10 secondes, mais le temps est alors insuffisant pour mettre l’aiguille en place près de la tumeur. On fusionne donc l’image scanner en temps réel avec une image en échographie. La même opération pourrait être faite avec une image IRM», explique le radiologue, qui estime que les possibilités de traitement sont «aujourd’hui infinies» avec l’association de ces modalités complémentaires. «On parvient à guider l’aiguille jusqu’à la tumeur, même si elle est mal placée, à la rendre visible même quand elle est invisible, à s’affranchir des mouvements respiratoires, tout en ayant la possibilité de boucher les vaisseaux sanguins qui gênent le temps de la procédure. La salle multimodale a vraiment vocation à se développer», s’enthousiasme-t-il.
La thermoablation consiste à introduire une aiguille au centre de la tumeur, pour chauffer et détruire cette dernière.
Les manipulateurs en étroite collaboration
Dans ce service, les manipulatrices travaillent en étroite collaboration avec les radiologues, les médecins anesthésistes et l’infirmière anesthésiste. Elles gèrent les images, assistent le radiologue interventionnel, et font respecter les règles de radioprotection et d’hygiène. «C’est un vrai travail d’équipe, apprécient Jasmine et Sophie. Il y a un échange entre toutes les spécialités… C’est aussi épanouissant pour nous car il y a toutes les modalités, et c’est une des seules salles en France qui réalise ce genre de traitement avec les trois modalités. C’est enrichissant.»
14 heures. La salle hybride a quitté son allure de vaisseau amiral pour reprendre celle d’une simple salle de scanner. L’après-midi sera réservé au seul diagnostic des patients.
Les manipulatrices travaillent en étroite collaboration avec les radiologues, les médecins anesthésistes et l'infirmière anesthésiste.
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