Au-delà de l’attrait pour la médecine, Philippe Douek doit son entrée dans le monde de l’imagerie à un penchant artistique. « Je suis venu à la radiologie car j’aime la photographie, explique-t-il. J’en faisais beaucoup étant jeune. » Au cours de ses études de médecine à Paris, son passage au service de neuroradiologie de l’hôpital des Quinze-Vingt achève de le convaincre qu’il a trouvé sa voie. Il quitte la capitale pour faire son internat à Lyon à la fin des années quatre-vingt. Après deux ans passés à Washington en post-doctorat, il revient à Lyon où il exerce en tant que chef de clinique dans plusieurs établissements. Depuis quinze ans, il occupe en alternance le poste de chef du service de radiologie à l’hôpital Louis-Pradel.
Les prémices du scanner spectral
Dans son parcours, la genèse du scanner spectral remonte au milieu des années quatre-vingt-dix. En parallèle de son activité clinique, il officie alors dans une unité de recherche sur l’imagerie de l’athérosclérose. « Au début de ma carrière, j’ai travaillé sur l’angioplastie laser, sur l’échographie endovasculaire et sur l’IRM. À Lyon, nous avons d’ailleurs été parmi les premiers centres internationaux à faire des angiographies par résonnance magnétique avec injection de gadolinium. C’était en 1992. Nous avons développé cette technique seuls, puis elle a été reprise par les constructeurs. » Les années deux mille marquent l’avènement des scanners à acquisition hélicoïdale. Les applications cardiovasculaires se développent de manière exponentielle et Philippe Douek entrevoit de nouvelles perspectives à explorer. « Avant, on ne pouvait pas faire d’imagerie d’artères coronaires de manière non invasive, se remémore-t-il. Le scanner a ouvert la voie à l’imagerie des artères coronaires. Étant donné que j’exerçais dans un hôpital cardiologique, je m’y suis intéressé. »
Relation de confiance
Dans ce contexte, Philippe Douek entame une collaboration avec un industriel au cours de l’achat d’un scanner. « Nous avons eu beaucoup d’échanges avec cette société et nous sommes devenus un site test pour développer des nouvelles technologies en scanner pour les malades. » Dans le même temps, le constructeur en question commence à développer une nouvelle technologie, où les détecteurs photoluminescents sont remplacés par des détecteurs à comptage photonique. C’est là que la relation de confiance instaurée depuis plusieurs années avec l’industriel amène Philippe Douek à prendre en main le projet. « Ils avaient une machine prototype en Allemagne et ils m’ont proposé d’aller voir. Je suis donc allé à Hambourg en 2009 pour faire une première série d’essais. L’acquisition d’une image de scanner durait 24 heures à l’époque car les détecteurs avaient une faible sensibilité. »
Contourner les obstacles
Le radiologue publie les premiers résultats de ses recherches sur le scanner spectral à comptage photonique en 2010. Mais un coup d’arrêt vient freiner son élan et compromettre la suite du projet. « La réglementation allemande a interdit l’utilisation de « matériel humain » dans une usine. Nous étions coincés. » Mais il en faut plus pour le décourager. Il décide d’acheter la machine et de l’implanter à Lyon, dans les locaux du Cermep 1. Pour cela, il faut des financements. Le radiologue soumet alors le projet à un appel d’offres national. Entre-temps, la technologie opère sa métamorphose. « Entre le moment où j’ai déposé le projet et où il a été accepté, le type de détecteur avait changé. On est passé d’un prototype petit animal, avec des acquisitions de 24 heures, à un modèle très proche de la clinique, avec un temps d’acquisition de moins d’une seconde. »
Un rôle fédérateur
Le scanner spectral à comptage photonique arrive finalement à Lyon en juin 2015. La machine montre ses premiers résultats et Philippe Douek est déterminé à développer le projet à l’échelle européenne. « Nous avons aujourd’hui le prototype préclinique. En mars 2018, nous aurons le prototype clinique pour faire de l’imagerie de l’homme. Nous développons aussi de nouveaux produits de contraste. » Depuis les balbutiements du projet, le radiologue met toute son énergie à jouer un rôle fédérateur. Il s’entoure de cliniciens, d’universitaires, de chercheurs, d’ingénieurs et d’industriels pour concrétiser les possibilités du scanner spectral à comptage photonique. « Le but de cette technologie est d’avoir une meilleure résolution spatiale, de faire une imagerie plus fine de la pathologie vasculaire, mais aussi pour l’imagerie oncologique et ostéoarticulaire. On espère aller plus loin en imagerie fonctionnelle avec le scanner et diminuer les doses. »
Le scanner de la prochaine génération
Il entrevoit également l’éventualité de faire de l’imagerie quantitative, peut-être moléculaire. « Comme c’est de l’imagerie spectrale, l’idée est de combiner un agent de contraste avec une cible pour faire de l’imagerie spécifique de la cible, comme en TEP. L’avantage serait de pouvoir se passer de la radioactivité, mais avec moins de sensibilité. Les applications restent à creuser. Nous en sommes encore au stade de la recherche. » À ses yeux, le scanner spectral à comptage photonique inaugure l’avenir de la modalité. Une technologie qui serait à la fois très high-tech et largement répandue : « C’est la suite du scanner, assure-t-il. Je pense que cette technologie sera celle de la prochaine génération, dans les années 2020-2025. Si on arrive à prouver qu’il a une valeur ajoutée, ça sera le scanner de tout le monde. » Lorsqu’il se retourne sur le chemin parcouru, Philippe Douek se félicite d’avoir choisi une spécialité où l’innovation fait partie du quotidien. « En tant que radiologue, il faut suivre les nouvelles technologies, mais mon métier d’enseignant-chercheur fait que je dois aussi essayer de les anticiper. »
Discussion
Aucun commentaire
Commenter cet article