Peut-on encore améliorer le dépistage organisé du cancer du sein du point de vue radiologique en 2017 ? La question était au programme du dernier congrès de la Société d’imagerie de la femme (SIFEM), qui s’est tenu à Marseille du 15 au 17 juin 2017. Devant 930 auditeurs, Brigitte Séradour, radiologue à l’hôpital privé Beauregard à Marseille (13), s’est chargée de faire le point et de donner sa vision du sujet.
Des programmes critiqués
Pour commencer, elle est revenue sur les critiques que subissent les programmes de dépistage organisé actuels par mammographie. « Leurs détracteurs disent que les essais randomisés ont plus de 20 ans, que des améliorations à grande échelle ont eu lieu dans les équipements de mammographie et dans les traitements, explique-t-elle. De plus d’autres techniques que la mammographie doivent être évaluées. C’est en 2002 que le Centre international de recherche sur le Cancer (CIRC) a évalué le cancer du sein pour la dernière fois. »
Le bilan bénéfice sur risque est positif
Malgré ce besoin de mise à jour, Brigitte Séradour estime que le bilan est positif. « Une étude montre qu’entre 50 et 69 ans, la mortalité par cancer du sein diminue chez 23 % des femmes invitées au dépistage. Elle baisse de 40 % chez les participantes. » La baisse de la mortalité serait moindre pour les femmes de 70 à 74 ans, mais peu d’études existent. En revanche, l’efficacité est plus limitée entre 40 et 49 ans. Ce qu’il faut retenir, selon la radiologue, c’est que « la réduction significative de la mortalité entre 50 et 69 ans l’emporte sur les effets négatifs ». Le bilan bénéfice risque est positif. Les effets négatifs (faux positifs, surdiagnostic, cancers radio-induits) sont inférieurs à l’intérêt de la baisse de mortalité.
De nombreuses questions
En dépit de ces résultats, plusieurs questions se posent autour de ces programmes de dépistage organisé, majoritairement européens, qui datent des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. « Faut-il modifier l’âge, l’intervalle entre deux dépistages ? Faut-il ajouter de nouvelles techniques comme la tomosynthèse ? Doit-on développer de nouvelles stratégies de dépistage basées sur le risque ? Pourquoi ne pas en faire moins chez les femmes étant en très bas risque et se fixer sur les plus hauts risques ? Est-ce compatible de faire un dépistage à la carte, est-ce même éthique ? », s’interroge Brigitte Séradour.
La participation baisse en France
La France a généralisé le dépistage organisé en 2004. La technique est passée au numérique en 2008. En 2017, Brigitte Séradour dresse un bilan contrasté. « 10 à 15 % des femmes se font dépister de manière individuelle et la polémique anti-dépistage ne désarme pas. Le dispositif va changer de manière très profonde début 2018, avec une meilleure information et une personnalisation du dépistage. Tout cela dans un contexte où la participation baisse, avec 50,7 % en 2015 contre 52,5 % en 2008 », constate-t-elle.
Un cahier des charges spécifique
En matière de dépistage organisé, le cahier des charges français est spécifique et différent des autres pays européens. « Nous avons voulu un examen clinique car le radiologue est présent. Un bilan est réalisé immédiatement. Il comprend le plus souvent une échographie et une seconde lecture. Cette dernière ne concerne pas les clichés jugés suspects par le premier radiologue. Sa pratique ne fait pas consensus mais elle est centralisée, précise Brigitte Séradour. Par ailleurs, nous avons accepté depuis le début de réaliser une échographie en cas de difficultés de lecture ou de seins denses ». Par rapport à la moyenne européenne, la France connaît une participation plus basse (51 % contre 60 %), mais elle présente un taux plus élevé d’examens immédiats. En 2013, sur 18 105 cancers, 0,7 % ont été détectés par un examen clinique, 1,8 % par une échographie seule, la mammographie étant normale, et 6 % grâce à la seconde lecture.
La tomosynthèse voit plus de cancers…
La tomosynthèse a-t-elle une place dans le dépistage organisé ? Au Royaume-Uni, cette modalité est acceptée pour le diagnostic, mais pas pour le dépistage. « En liberté, elle est utilisée aux États-Unis et en France en individuel, en diagnostic, mais pas officiellement en dépistage, alors qu’elle est en vente libre sans formation classique organisée pour les radiologues, note Brigitte Séradour. En dépistage, aux États-Unis, le taux de rappel avec la tomosynthèse diminue de 16 %. Le taux de détection augmente de 27 % », poursuit-elle. À l’inverse, en Europe, selon différents essais, la tomosynthèse fait augmenter les taux de rappel et le taux de détection s’accroît plus qu’aux États-Unis. « La tomosynthèse augmente le taux de détection des cancers », en déduit Brigitte Séradour. En revanche, selon le CIRC, le niveau d’indication de la mammographie avec tomosynthèse est insuffisant pour affirmer qu’elle fait bien baisser la mortalité et les cancers de l’intervalle.
…mais elle irradie deux fois plus
À côté de ces apports indéniables au dépistage, la tomosynthèse a aussi des inconvénients. Par rapport à la mammographie seule, elle augmente le taux de lecture ainsi que l’irradiation par deux. Elle exige en outre des moyens de stockage plus importants. D’autres questions se posent, que relaie Brigitte Séradour : « La tomosynthèse n’entraîne-t-elle pas de surdiagnostics ? Les calcifications sont-elles aussi bien détectées ? Est-ce que la deuxième lecture est encore utile ? » Une vue 2D synthétique permettrait de baisser la dose de 39 %. Certains essais prouvent qu’elle est égale à la 2D.
Vers un dépistage orienté sur le risque ?
L’échographie est la modalité plébiscitée pour les patientes aux seins denses. Une étude italienne montre que, sur 3 231 femmes, l’échographie a permis de trouver 7 ‰ cancers contre 4 ‰ en tomosynthèse. « Nous pourrions imaginer un futur dépistage du cancer du sein orienté sur le risque, avance Brigitte Séradour. Pour les femmes à très bas risques, on ferait une mammographie tous les 3 ans. Une tomosynthèse suffirait pour les risques moyens. Pour les hauts risques, on pourrait faire une tomosynthèse et une échographie automatisée. Enfin, pour les très hauts risques, l’IRM serait rajoutée à la tomosynthèse. C’est le dépistage du futur, mais nous ne sommes pas mûrs pour le mettre en œuvre », estime-elle. Elle conclut en attirant l’attention sur le fait que le programme français est en danger, à cause des décisions politiques « qui tendent à tout régionaliser » et à « casser un système qui fonctionne encore ». Elle demande aux radiologues de défendre un bilan qui, même reste perfectible, est très positif.
Discussion
Aucun commentaire
Commenter cet article