Elle ne peut se résoudre à abandonner le terrain. Il y a quelques années, la radiologue Marie-Christine Bodet a pris sa retraite après une longue carrière dans le privé et le public, dont 20 ans en tant que chef de service à l’hôpital de Villefranche-de-Rouergue, dans l’Aveyron… mais elle n’aura pas raccroché sa blouse très longtemps. « Au bout de six mois, l’hôpital d’Aurillac m’a appelée au secours, raconte-t-elle. Le chef de service était malade. Ils n’étaient que deux PH alors qu’ils s’occupent de tout le Cantal ! Il faudrait au moins 5 radiologues en poste par jour pour tout faire tourner. »
Des territoires en souffrance
Aveyron, Ardèche, Cantal… Durant sa carrière de radiologue, Marie-Christine Bodet a enchaîné les remplacements dans ces départements progressivement désertés par les médecins, autant dans le public que dans le privé. « J’ai travaillé un peu partout, à Aubenas, à Saint-Flour… Dans toutes les régions rurales, les hôpitaux sont en difficulté. Je pense qu’il y a eu une volonté politique depuis 1990 de fermer des hôpitaux, alors on a mis en place un système pour réduire le nombre de médecins. Ainsi, le combat s’arrête faute de combattants. »
Les effectifs médicaux fondent comme neige au soleil
Au fil des années, la radiologue a vu la situation se détériorer. « On a diminué le numerus clausus depuis Giscard, ça a été catastrophique. Maintenant, on parle de le supprimer mais il faut dix à quinze ans pour former des médecins. Ce n’est donc pas maintenant que le problème va se régler. » Dans la plupart des hôpitaux des environs – Figeac, Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Decazeville, Millau – c’est le même constat : « En 2005, il y avait sept radiologues à Villefranche. Il n’en reste plus que trois. À Figeac, le cabinet privé a fermé. Il n’y a plus qu’un seul radiologue à l’hôpital et ils font de la téléradiologie. À Rodez, il y a deux ou trois PH alors qu’il en faudrait le double. »
Les anciens font tourner le service
Bien qu’elle ait pris sa retraite il y a quatre ans, Marie-Christine Bodet assure des remplacements en intérim à l’hôpital de Decazeville. Elle y travaille sept à dix jours par mois. « Je suis toute seule en poste. Là, j’ai au moins quinze scanners que je n’ai pas interprétés depuis deux jours alors que je n’arrête pas. Hier, j’ai travaillé jusqu’à 23 h 30. C’est devenu complètement loufoque. » Actuellement, le service tourne avec quatre radiologues qui se relaient chaque semaine, deux retraités et deux médecins en fin de carrière. À Decazeville, l’avenir s’envisage avec pessimisme.
Un projet de regroupement hospitalier avorté
Pour unir les forces et assurer la pérennité de l’activité, Marie-Christine Bodet avait pourtant proposé en 2007 un projet de regroupement entre les hôpitaux de Figeac, Decazeville et Villefranche. « L’agence régionale de santé (ARS) nous a mis des bâtons dans les roues car elle ne voulait pas qu’on prenne l’hégémonie sur l’hôpital de Rodez. Les trois hôpitaux sont donc restés isolés », regrette-t-elle. La téléradiologie pourrait être une solution pour pallier le manque de médecins mais elle la voit plutôt d’un mauvais œil : « Un radiologue doit voir le patient. C’est un médecin avant tout et pas qu’un photographe, estime-t-elle. On peut dire ce qu’on veut, une image reste une image. Sans contexte clinique ça peut être tout et n’importe quoi. »
« Les décideurs sont déconnectés »
Interrogée sur les travers du système de santé, Marie-Christine Bodet fustige sans langue de bois « une politique de la lenteur », des lourdeurs administratives – « on est soi-disant à l’ère du numérique et on n’a jamais eu autant de paperasse » – un secteur hospitalier peu engageant pour les jeunes médecins, des décideurs déconnectés du terrain et des patients laissés sur le carreau. Elle cite en exemple le GHT mis en place dans la région, où Decazeville est chapeauté par l’hôpital de Rodez, et Figeac par l’hôpital de Cahors, « alors que les gens de Figeac préfèrent venir à Villefranche car la route est plus facile ».
La retraite attendra
Plus que tout, elle déplore que la voix des soignants ne soit pas entendue. « Quand je parlais à l’ARS, on me disait que j’avais une vision alarmiste, affirme-t-elle. On attend qu’il soit trop tard pour réagir. À chaque fois qu’on entend les soignants c’est parce qu’ils râlent, parce qu’ils sont à bout. » Malgré toutes ces difficultés, ou peut-être à cause d’elles, Marie-Christine Bodet attendra encore quelques mois ou quelques années avant de dire adieu à la radiologie. « M’occuper des patients, c’est ma raison de vivre. J’arrêterai définitivement quand je sentirai que je ne serai plus capable. »
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