Docteur Imago / Comment s’organise l’activité d’imagerie au CHU de Rouen dans cette épidémie de COVID-19 ?
Jean-Nicolas Dacher / La Normandie, fait partie des régions de l’Ouest de la France qui ont été un peu protégées du raz-de-marée qu’ont vécu nos collègues de l’Est. Nous avons probablement bénéficié du confinement, avec une courbe un peu amortie. Nous avons ouvert notre scanner COVID le 23 mars au matin et nous avons atteint un pic d’activité le 26 mars avec 60 scanners COVID dans la journée. Au CHU de Rouen, nous avons deux scanners ouverts 24 heures sur 24 : un scanner dédié COVID sur lequel nous faisons du dépistage, des évaluations et des réévaluations, et un second scanner pour tout le reste. Nous avons beaucoup déblayé les plannings mais nous avons gardé tous les examens nécessaires, essentiellement pour l’oncologie, le cardiovasculaire et le neurovasculaire.
D. I. / Comment évolue l’activité au scanner COVID ?
J.-N. D. / Au début de l’épidémie, nous avons concentré nos efforts sur le scanner pour le dépistage du COVID. Mais maintenant que les nouvelles arrivées se tarissent un peu grâce confinement, les patients ont changé car nous dépistons beaucoup moins de nouveaux malades. Ce matin (9 avril NDLR) au scanner COVID, nous n’avons fait aucun dépistage, alors qu’il y a trois semaines, en une matinée, nous en faisions une dizaine.
« Notre service de réanimation est plein à craquer. »
Actuellement, notre service de réanimation est plein à craquer avec des patients très lourds. L’activité d’imagerie est donc plus orientée sur le suivi des malades. Nous sommes passés sur une phase où l’on fait des scanners de réévaluation chez les patients lourds et aussi beaucoup de radiographies pulmonaires au lit.
D. I. / Outre l’activité COVID, comment l’activité a-t-elle évolué pour les autres pathologies ?
J.-N. D. / Trois pathologies ont quasiment disparu : l’AVC, l’infarctus du myocarde et la grippe. Selon les chiffres de l’INSEE, le taux de mortalité au premier trimestre 2020 est inférieur à celui de 2017. Évidemment, il y a une surmortalité liée au COVID mais la mortalité globale est en baisse. Cela s’explique peut-être par le fait que la circulation automobile s’est fortement réduite et qu’il y a donc moins d’accidents et donc moins de polytraumatisés. Comme les industries sont à l’arrêt, il y a aussi moins d’accidents du travail et de pollution. Concernant l’infarctus, est-ce parce que les gens ne vont plus travailler et qu’ils sont moins stressés ? Sur le plan médical et sociologique, c’est vraiment très intéressant car les gens ont modifié leurs activités et nous assistons à une répartition de la pathologie complètement inédite. En temps normal, nous faisons beaucoup de scanners qui ne servent pas à grand-chose. Pour les suspicions d’AVC, d’habitude nous faisons 50 scanners crâniens par jour. Là, nous sommes tombés à 8, et pour le coup, ce sont des cas sévères.
D. I. / Le service d’imagerie est-il considéré comme une zone COVID ?
J.-N. D. / Oui et non. Dans le service, nous nous considérons comme une zone COVID car tous les patients COVID qui sont dans l’établissement passent chez nous, parfois plusieurs fois. De plus, les hygiénistes nous ont expliqué que le scanner COVID était un lieu à haute densité virale. À côté de ça, au CHU de Rouen, nous commençons à fermer des services COVID de patients moins graves. Nous avons l’impression d’être sur un plateau épidémique légèrement descendant et qu’il commence à y avoir trop d’offre.
« Le scanner COVID est un lieu à haute densité vitale. »
Il y a par exemple un service de gastroentérologie dédié COVID qui est en train de fermer. Ce service va être désinfecté et cette désinfection va prendre une semaine. Pour la radiologie, ça n’existe pas. Notre service de scanner est à haute densité virale mais il ne sera jamais fermé pour être totalement désinfecté quand l’épidémie aura pris fin. Nous sommes si indispensables au fonctionnement de l’hôpital que nous ne pourrons pas fermer le scanner des urgences une semaine.
D. I. / Comment se sont répartis les personnels d’imagerie ?
J.-N. D. / Les cadres ont fait un gros travail de réaffectation de personnels pour répondre aux besoins. Beaucoup de manipulateurs radio ont été affectés sur le secteur des urgences adultes, là où il y a le plus d’activité. Au niveau du personnel, nous avons pu gérer la situation. En revanche, au niveau technique, nous sommes plus limités. Nous sommes un peu sous-dotés en capteurs plans numériques pour les radios au lit. Nous avons contacté les fournisseurs mais tous les appareils de prêt ont été envoyés dans l’Est et à Paris.
D. I. / Avez-vous suffisamment de matériel de protection ?
J.-N. D. / Aujourd’hui oui, mais au début, c’était très tendu. La situation s’est résolue depuis peu. La lingerie de l’établissement a confectionné des masques artisanaux. Il y a eu aussi un gros effort sur la politique d’achat. Maintenant, nous sommes dotés pour plusieurs semaines. Le problème, c’est qu’au début de l’épidémie, on nous a donné des conseils qui étaient plus liés à la disponibilité des masques qu’à la réalité de l’hygiène. Finalement, les choses sont revenues à la normale. Aujourd’hui tout le monde est masqué dans le service.
D. I. / Dans quel état d’esprit sont les équipes ?
J.-N. D. / Il y a une grande solidarité, c’est absolument exemplaire. Cette situation sanitaire exceptionnelle a créé beaucoup de liens dans l’équipe, notamment entre médecins et manips. Au niveau de l’ambiance, les gens sont restés assez gais et souriants, ils ont le moral. Ils se rendent bien compte qu’ils rendent service à la population.
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