Dans un rapport publié le 9 juillet 2025, l’IGAS-IGF pointe la financiarisation croissante de la radiologie. Que pensez-vous de ce rapport ?
Jean-Philippe Masson / Je dirais que ce rapport est relativement objectif. Il dresse un bon panorama de la situation actuelle. En revanche, il n’apporte que peu de solutions, si ce n’est un rappel de la nécessité de renforcer les mesures qui existent déjà au niveau du Conseil de l’Ordre, ou d’appliquer enfin l’ordonnance datant d’il y a trois ans et dont les décrets d’application ne sont toujours pas publiés.
Le rapport relève notamment des risques en cas de tensions sur les modèles économiques des acteurs. Le modèle économique des groupes d’investisseurs pourrait-il montrer des limites ?
J.-P. M. / La financiarisation est née parce que certains radiologues qui voulaient partir à la retraite sans avoir trouvé de successeur, ont, pour pouvoir récupérer un capital équivalent à celui qu’ils auraient tiré de la vente de leur part, cédé aux sirènes des financiers. Ces derniers allaient jusqu’à racheter leurs parts à des prix 15 fois supérieurs à leur valeur réelle. Mais pour rentabiliser, ils doivent ensuite revendre encore plus cher pour permettre au financier de faire du profit. Et c’est cela qui pose problème. Il y a en effet des groupes financiers qui rencontrent des problèmes financiers, un d’entre eux est partiellement en redressement judiciaire, un autre est en difficulté. Cela va donc de toute façon évoluer. Pour l’instant, la financiarisation concerne environ 20 à 25 % de la radiologie en France. À titre de comparaison, elle ne représente que 10 à 15 % aux États-Unis. Je pense qu’à terme, on attendra ce seuil en France.
Le rapport établit des propositions pour limiter ces risques liés à la financiarisation. Ces propositions peuvent-elles être mises en application ?
J.-P. M. / Il y a déjà eu des propositions qui avaient été faites par la CNAM il y a 2 ans dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, on n’a pas vu beaucoup de choses arriver. On attend toujours de voir naître le fameux Observatoire [annoncé par le directeur général de la CNAM, NDLR]. Par contre, la financiarisation peut évoluer, notamment dans un contexte de baisse tarifaire importante. C’est d’ailleurs ce qui est prévu dans l’autre rapport.
Ce second rapport rendu public le 15 juillet s’attaque cette fois directement aux coûts et aux revenus. Que vous inspire-t-il ?
J.-P. M. / C’est un rapport à charge, truffé de contre-vérités. De plus, il contient un certain nombre de choses absolument inadmissibles. Par exemple, affirmer que la radiologie n’est pas une activité de soins est totalement inacceptable et scandaleux. La radiologie est une activité de soins : preuve en est la radiologie interventionnelle, qui soigne directement. Et d’autre part, vous ne pouvez pas envisager d’appliquer un traitement s’il n’y a pas eu un diagnostic. Et ce diagnostic se fait en imagerie.
Quel est votre sentiment sur la proposition du rapport de sortir la radiologie de la convention médicale ?
J.-P. M. / C’est un moyen de faire des baisses tarifaires autoritaires sans avoir à passer par des négociations. C’est une logique digne d’une dictature sanitaire. Les médecins signent une convention avec la Caisse d’assurance maladie. Cela permet à leurs patients d’être remboursés sur la base des tarifs qui ont été négociés entre les syndicats signataires de la convention et la Caisse. À partir du moment où vous retirez une spécialité de la Convention, comment les patients vont-ils être remboursés ? Les syndicats signataires de la Convention sont outrés par cette proposition.
Il est aussi question dans le rapport d’interdire le secteur 2 aux jeunes radiologues qui envisagent de s’installer…
J.-P. M. / C’est absurde. La radiologie est déjà l’une des spécialités avec le moins de secteurs 2. Même ceux qui sont en secteur 2 la plupart du temps, n’appliquent pas de dépassement d’honoraires. Les internes sont furieux. Pourquoi est-ce qu’on interdirait à une spécialité d’accéder au secteur 2, sachant que ce n’est pas là où il y en a le plus ? Il s’agit juste d’un rapport à charge dont le but est de provoquer des baisses tarifaires. C’est d’ailleurs ce qu’ils disent dans ce rapport charges et produit. Il y a six spécialités pour lesquelles il doit y avoir des baisses de tarifs : celles où il y aurait une rentabilité supérieure à 15 %. Mais ces chiffres ont été calculés d’une façon complètement aberrante.
Les arguments du rapport sur la rentabilité et la rémunération élevées des radiologues vous semblent-ils valables ?
J.-P. M. / D’abord, ils prétendent ne pas comprendre pourquoi il y aurait des médecins qui gagneraient plus que d’autres. Cela s’appelle une politique de revenu. Puis, dans le rapport, on ne sait pas comment est calculée la rentabilité. Nous avons remarqué qu’ils font rentrer le montant des forfaits techniques dans les revenus des radiologues. Or, c’est absurde, premièrement parce qu’il y a très peu de radiologues qui sont propriétaires de leurs machines. Et deuxièmement, ces forfaits couvrent les charges de fonctionnement et il est dégressif en fonction de l’activité. La dégressivité de ces forfaits est telle qu’au-delà d’un certain volume, ils ne couvrent même plus les frais. Par conséquent, on arrive parfois au stade où par exemple, pour pouvoir continuer à fonctionner, les sociétés qui possèdent les scanners, sont obligées de demander aux radiologues une redevance sur leurs honoraires. On constate par contre que les chiffres qui viennent de la CARMF (la caisse autonome de retraite des médecins en France, NDLR), bien plus transparent, nous placent à la 11ème place des spécialités en termes de revenus, avec un revenu moyen qui tourne aux alentours de 115-120 000 € par an, bien en dessous des montants cités par la DRESS dans le rapport. Les chiffres ont donc été manipulés pour pouvoir réaliser des économies, en faisant une politique de revenus, pour que les radiologues gagnent moins.
Le rapport préconise également de garder les équipements d’imagerie plus longtemps. Cela vous semble-t-il pertinent ?
J.-P. M. / C’est une aberration totale. Quand on a été auditionné, un des membres de la commission de l’IGAS a avancé que nous changeons nos machines tous les 7 ans tandis que d’autres pays dans le monde gardent quant à eux leurs machines 10 voire 14 ans. Mais le renouvellement en équipement est lié au progrès technologique. Si on garde une machine plus de 7 ans, cela signifie qu’on ne pourra pas faire bénéficier les patients des nouveaux outils d’IA qui sont inclus dans les nouvelles machines. Par exemple, sur les nouveaux scanners il y a un algorithme qui n’existait pas sur les scanners 5 ans auparavant, c’est la possibilité de diminuer la dose de rayons X tout en conservant la même qualité d’image. Si vous avez une machine qui date d’il y a 14 ans, il est bien évident que vous ne pourrez pas le faire. Les patients vont donc prendre une dose de rayons X beaucoup plus importante que si on travaille avec une machine moderne et neuve.
Comptez-vous faire un recours juridique ?
J.-P. M. / On a mandaté des juristes pour étudier la légalité de certaines propositions, comme le déconventionnement de la radiologie. En parallèle, nous allons colliger toutes les contre-vérités et les dénoncer. On va prendre à témoin les patients et si possible, unir les autres spécialités ciblées pour mener ensemble des actions communes. On ne peut pas laisser passer ça.
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