47 % des postes de radiologues sont vacants dans le secteur hospitalier. Lors des Journées francophones de radiologie d’octobre 2016, Jacques Albisetti, radiologue en Normandie et coordonnateur du groupe téléradiologie de la Société française de radiologie (SFR) [1], s’est demandé si la mise en place de la téléradiologie au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT) pourra pallier ce déficit de manière efficace.
« La radiologie hospitalière est un repoussoir pour les jeunes »
Pour lui, la désertion des radiologues hospitaliers a plusieurs causes. La première est « la forte progression des passages aux urgences, dans un contexte de manque de lits à l’hôpital ». La volonté de consolider les diagnostics, de rassurer les urgentistes et de renvoyer les patients chez eux entraîne en effet une surconsommation d’imagerie, une surcharge des permanences des soins (PDS) et donc un surcroît de travail, non valorisé à ce jour. Le résultat : un effet repoussoir sur les jeunes et un épuisement des seniors. Cette situation est aggravée par les contraintes budgétaires et la non-valorisation de l’activité interne des services d’imagerie vis-à-vis des pôles demandeurs, qui font que l’imagerie est considérée comme coûteuse, avec des investissements élevés. « Pour amortir ces équipements lourds, les journées sont passées de 8 à 12 heures sans modification de l’organisation du travail, avec une surcharge des équipes restantes, un déficit des mesures d’accompagnement, une limitation des recours à l’intérim au profit de la téléradiologie externalisée, jugée plus souple mais plus onéreuse », constate Jacques Albisetti.
Le statut unique est « trop rigide »
Autre facteur mis en cause par Jacques Albisetti : la faiblesse des ouvertures de postes. Depuis une dizaine d’années leur nombre a augmenté de 5 % contre 30 % pour les cliniciens prescripteurs d’imagerie, rapporte-t-il. « Il s’ensuit une pénibilité accrue pour les radiologues restant dans le public. Lorsqu’ils voient passer des intérimaires, ils sont tentés de passer à mi-temps pour compléter leurs émoluments par de l’intérim, de demander une disponibilité, un détachement ou une mutation vers des hôpitaux moins contraignants ou vers le sud où la démographie est moins déficitaire, les cas de burn-out se multiplient, déplore-t-il. La cerise sur le gâteau est le statut unique avec toute sa rigidité, qui ne prend pas en considération une spécificité par rapport aux autres, ne considère pas le différentiel de revenu public privé et ne valorise pas l’effort de travail supplémentaire. L’attractivité et la fidélisation sont nulles. Nous avons le triste record des postes vacants, qui touchent aussi bien les CHU que les hôpitaux périphériques. »
« Ce n’est pas en cassant l’unité des équipes que nous allons attirer les radiologues vers l’hôpital public »
Face à ce constat, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) se présentent comme une solution : la mutualisation des ressources rares – les radiologues – dans un établissement support pourrait compenser le déficit. Pas pour Jacques Albisetti, qui estime qu’elle risque de faire baisser la compétence dans les structures de proximité, « voire de rompre le lien entre radiologue et manipulateur en présentiel, qui est pourtant une source d’émulation et de qualité des examens. Dans cette vision simplificatrice, assène-t-il, la téléradiologie est un leurre car le temps nécessaire pour interpréter et rendre accessible le compte rendu radiologique dans le dossier patient informatisé (DPI) est plus long qu’en présentiel, surtout lors de comparaisons avec l’antériorité. Ce n’est pas en cassant l’unité des équipes avec des personnels mobiles de territoire que nous allons fidéliser ou attirer les radiologues à l’hôpital public ».
Une télépermanence des soins
« Les opportunités de la téléradiologie sont certainement ailleurs que dans des GHT 100 % publics ou dans le mythe du remplacement de la radiologie réelle en présentiel par la radiologie virtuelle », poursuit-il. La téléradiologie peut ainsi prendre la forme de télévacations d’actes programmés, ou de téléinterprétation différée des radiographies d’urgence de la veille ou durant le week-end. Autre usage possible : la télépermanence des soins (PDS), qui consiste à mutualiser plusieurs tableaux d’astreinte d’un même territoire. « Mais elle suppose des outils de visualisation, de post-traitement et de dictée du compte rendu accessibles depuis le domicile ou depuis un gros établissement public de santé doté de tous ces outils et d’un praticien de garde sur place », prévient Jacques Albisetti. « En revanche, la téléradiologie mutualisée entre plusieurs établissements d’un même territoire permet d’harmoniser les pratiques et de réguler le recours aux examens irradiants. Après avoir étudié ce qui se fait en région, nous pouvons proposer quelques modèles économiques pérennes », indique-t-il.
Financer des créations de postes
Les opportunités réelles de la téléradiologie, estime le radiologue, sont plutôt dans la mutualisation de la PDS entre les petits hôpitaux d’un GHT que dans la concentration de tous les appels sur l’établissement support. En ce qui concerne ce dernier, Jacques Albisetti est partisan d’une hausse des moyens financiers. « Il faut aboutir à une reconnaissance des journées de 12 heures en accordant une troisième plage de jour. Il faut bien entendu généraliser les gardes sur place pour les services d’accueil des urgences avec un passage d’au moins 40 000 par an et ouvrir des postes. Ces créations de postes doivent être financées par une activité interne correctement valorisée et, lorsque les sous-effectifs persistent, il faut oser faire une entorse à ce statut en acceptant la reconnaissance des heures supplémentaires faites par des volontaires selon le modèle autorisé de plages additionnelles, préconise-t-il.
Faire appel au privé
Lorsque le GHT 100 % public ne parvient pas à développer un projet fédérateur en imagerie faute d’effectifs, il faut savoir rebondir à l’aide des structures privées », enchaîne ce médecin. Le pôle d’imagerie médicale mutualisée (PIMM), considère-t-il, est une alternative au GHT 100 % public. « Dans bien des territoires, nous ne pourrons pas nous passer d’étendre les collaborations public/privé. La loi prévoit la possibilité de mutualiser l’imagerie médicale avec des centres privés et de créer, généralement sous forme de GCS, des pôles d’imagerie médicale où peuvent intervenir des praticiens de statuts différents ». En PIMM, les praticiens hospitaliers peuvent exercer des prestations au même titre et aux mêmes tarifs que les radiologues libéraux.
Changer les mentalités
Pour Jacques Albisetti, « la téléradiologie est certainement une opportunité dans le GHT, à condition de changer de mentalité et d’aller vers un projet médical partagé de territoire public/privé en imagerie médicale ». Pour changer les mentalités, répète-t-il, « il faut valoriser correctement l’activité interne, créer de nouveaux postes, oser la part variable avec des vacations de téléradiologie rémunérées en plage additionnelle au prorata du nombre d’actes en PIMM. » En résumé, « la téléradiologie permet de mutualiser les compétences, d’encourager voire de développer les coopérations public/privé chaque fois que les effectifs publics sont insuffisants pour maintenir une offre de proximité de qualité ou une PDS efficiente, et que les effecteurs hospitaliers et libéraux sont prêts à construire ensemble un projet professionnel commun pour répondre aux besoins de la population », conclut le radiologue.
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