Alors que le plateau d’imagerie médicale mutualisé Sud-Nouvelle-Aquitaine (PIMM SNA) souffle ses trois bougies, ce pionnier de la téléradiologie locale à 100 % publique affiche une bonne santé. « Le projet a été dur à mettre en œuvre, mais depuis plus de deux ans, nous fonctionnons en routine », s’enthousiasme Frédéric Martineau, chef du pôle imagerie du centre hospitalier (CH) de Bayonne (64) et chef de projet du PIMM SNA. Sa garde de nuit commence tout juste dans le local de téléradiologie du PIMM, situé au cœur du CH de Bayonne.
Quatre établissements
Il est 20 heures, et la nuit du 8 janvier au 9 janvier s’annonce tranquille. Le relais avec les urgences de jour dévoile une courte liste d’attente sur les quatre centres hospitaliers (CH) du PIMM – les CH de Bayonne, Dax (40), Mont-de-Marsan (40) et Saint-Palais (64). Une bonne nouvelle pour les deux téléradiologues pour cette nuit, Frédéric Martineau et Anis Kerkeni – radiologue de Dax venu faire sa nuit de garde à Bayonne. Les praticiens hospitaliers se répartissent les imageries par établissement : Dax et Mont-de-Marsan pour Anis Kerkeni, Bayonne et Saint-Palais pour Frédéric Martineau.
Seule sur place jusqu’à 8 heures
Pendant ce temps, à Dax, le service d’imagerie ronronne. Delphine Da Costa, la manipulatrice radio, prend son poste pour la nuit. Elle sera seule pour réaliser les examens jusqu’au lendemain 8 heures. Les urgences sont au bout du couloir, et les radiologues à 50 km. À 20 h 20, Delphine Da Costa accueille une patiente âgée pour une radio de hanche, bassin et genou. À l’autre bout du PACS, Anis Kerkeni télé-interprète les images. Sur l’écran de la manip, le diagnostic tombe : fracture du grand trochanter. Entre-temps, de nouvelles demandes d’examens sont apparues.

De 20 heures à 8 heures, Delphine Da Costa réalise les examens de radio, scanner et IRM à l'hôpital de Dax.© Carla Ferrand
Améliorer et rentabiliser la permanence des soins
« On a eu l’idée de monter ce PIMM en 2019 car la permanence des soins était dure à organiser à Dax et à Mont-de-Marsan, qui manquaient de radiologues sur place, explique Frédéric Martineau entre deux interprétations. Le CH de Mont-de-Marsan faisait appel à de la téléradiologie privée, pour un coût important » – 300 000 euros à l’année, selon une étude économique indiquée en annexe d’un mémoire de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) paru en 2021, et consacré à la mise en place du PIMM SNA.
« On mutualise nos ressources, nos pratiques et nos coûts »
Dans ce contexte difficile, le projet d’un PIMM public-public visait au partage de la pénibilité, à apporter de la surspécialité localement, à améliorer l’attractivité de la radiologie publique locale et à limiter les coûts de la permanence des soins. « Mutualiser nos ressources, nos pratiques et nos coûts entre établissements », résume Frédéric Martineau.
Un pari réussi
Aujourd’hui, le pari semble réussi. L’activité ne se dément pas : 36 220 examens ont été interpétés via le PIMM en 2024, pour une proportion de 85 % de diagnostics posés dans les deux heures post-examen. Le CH de Mont-de-Marsan n’a plus besoin de recourir à de la téléradiologie privée pour assurer sa permanence des soins, révèle Frédéric Martineau. Avec sa ligne de garde de 24 radiologues – tous les praticiens des quatre centres, le PIMM limite la pénibilité, avec trois nuits de garde par mois par radiologue. Mieux, « on a recruté cinq jeunes avec l’arrivée du PIMM, qui a contribué à renforcer notre attractivité », se félicite Frédéric Martineau. Enfin, au-delà de la téléradiologie, la mise en commun des protocoles d’imagerie et du PACS harmonise les pratiques et évite la redondance d’examens entre centres.
Un appel « sur 20 % à 30 % des examens »
Mais trêve d’explications. À partir de 21 heures, l’activité du PIMM se fait plus prenante pour les deux radiologues : les interprétations sont entrecoupées d’appels aux MERM ou aux urgentistes. « Il y a un appel sur 20 % à 30 % des examens, estime Anis Kerkeni. Les manipulateurs radio et les urgentistes se sont habitués au fonctionnement à distance, et ils appellent quand on tarde à indiquer la pertinence d’un examen, ou quand il y a des difficultés sur un patient ou un protocole. » Peu après, Anis Kerkeni est justement appelé pour une suspicion d’AVC à Dax : « L’urgentiste hésitait entre IRM et scanner au vu de l’historique de la patiente ; je lui ai répondu de faire une IRM », détaille-t-il.

Anis Kerkeni appelle au téléphone la manipulatrice radio du CH de Dax, après avoir constaté une acquisition IRM bruitée. Le temps de latence étant de 5 minutes entre la réalisation des examens et leur arrivée sur le PACS, la MERM avait déjà identifié le problème et relancé l'acquisition.© François Mallordy
À Dax, Delphine Da Costa confirme la pertinence de l’examen directement au téléphone avec le radiologue, pour gagner quelques précieuses minutes. En salle d’IRM, elle installe la patiente sur la table et rejoint la console pour lancer les séquences. Mais au bout de quelques minutes, il y a un problème : les images ne sont pas nettes, alors la manip repositionne l’antenne. De retour à la console, le téléphone sonne : les premières images sont arrivées à Bayonne, et le radiologue signale le problème de netteté. « C’est réglé », répond la manip. « Vous avez vu ? Je me fais disputer en direct ! » plaisante-t-elle.
Un binôme radiologue-MERM qui fonctionne même à distance
À Dax, les urgences demandent maintenant un scanner abdominopelvien. « Les médecins vont m’appeler », prévient Delphine Da Costa. Le cas de cette patiente demande réflexion, puisque l’urgentiste a signalé dans sa demande un antécédent de réaction allergique aux produits de contraste. Pour pouvoir réaliser un examen d’imagerie en coupes, la manip doit attendre la validation par le radiologue de la pertinence de la demande dans le PACS du PIMM. « Cette pertinence a priori nous distingue : on est les seuls à faire ça », assure Frédéric Martineau. Depuis 2022, 176 examens de téléradiologie du PIMM ont été considérés comme non pertinents, et 95 demandes d’examen ont été modifiées.

Après un appel avec Delphine Da Costa, Anis Kerkeni modifie la fiche de pertinence et le protocole d'un scanner abdominal à venir, en tenant compte d'un antécédent d'allergie aux produits de contraste.© François Mallordy
« Les manipulateurs radio sont plutôt satisfaits »
Lorsqu’elle reçoit la validation de la pertinence du scanner, Delphine Da Costa tique : « Ah mince, c’est un protocole avec injection. » La manip n’hésite pas à appeler le radiologue au moindre doute. Au bout du fil, Anis Kerkeni modifie en conséquence la fiche de pertinence de l’examen et le protocole, désormais sans injection. Des échanges qui illustrent la continuation à distance du binôme MERM-radiologue : « Les manipulateurs radio nous indiquent dans leurs retours qu’ils sont plutôt satisfaits et ne regrettent pas le binôme en présentiel avec le radiologue », indique Anis Kerkeni.

Delphine Da Costa n’hésite pas à appeler le radiologue au moindre doute. © Carla Ferrand
Une capacité d’autonomie « pas donnée à tout le monde »
De fait, pour Delphine Da Costa, manip expérimentée, le travail sans radiologue sur place ne pose pas de difficulté et la distance ne se fait pas ressentir. « Ils répondent tout de suite au téléphone quelle que soit l’heure, donc ce n’est pas une contrainte », assure-t-elle. Philippe Dehez, cadre du pôle d’imagerie du CH de Bayonne, signale néanmoins la particularité des manips de nuit en téléradiologie : « Ils sont seuls avec leurs compétences, en autonomie, et ils doivent pouvoir gérer les situations complexes. Ce n’est pas donné à tout le monde », reconnaît-il. Mais les manips ne sont jamais vraiment seuls : « On a un groupe WhatsApp, glisse Delphine Da Costa. Comme ça, celui qui est seul à faire la nuit peut demander un conseil en cas de difficulté technique. Ceux qui sont réveillés lui répondent. »
Prendre le temps sur les cas complexes
Après une courte pause repas à 21 h 30, les heures défilent sans accroc à Bayonne : la nuit est calme, et permet aux deux radiologues d’accorder plus de temps à certains examens complexes. « Tu crois que c’est fracturé ? il s’est pris une cravate au rugby [un plaquage interdit au niveau du cou, NDLR] », demande ainsi Frédéric Martineau à Anis Kerkeni, en montrant un scan du CH de Bayonne. Le radiologue dacquois y jette un coup d’œil : s’il n’observe pas de fracture du cartilage thyroïde, il découvre un emphysème sous-cutané. « C’est un des intérêts de travailler à plusieurs : on peut demander un deuxième avis », remarque Frédéric Martineau.

Frédéric Martineau demande un deuxième avis à Anis Kerkeni sur un scan, réalisé initialement à la recherche d'une fracture du cartilage thyroïde. Anis Kerkeni n'observe pas de fracture, mais repère un emphysème sous-cutané. « C'est l'intérêt de travailler à plusieurs », remarque Frédéric Martineau.© François Mallordy

Les radiologues du PIMM utilisent un logiciel propriétaire pour l'analyse des fractures, payé par un forfait au cliché. « Cela nous permet d'aller plus vite sur certaines tâches, considère Anis Kerkeni. Le logiciel nous aide aussi à repérer des fractures sur des imageries mal centrées, et à ne pas rater des petites fractures en nuit profonde, comme des fractures d'orteil. »© François Mallordy
Un succès qui pourrait faire des émules
Signe de l’intérêt qu’il suscite, le PIMM SNA s’est vu récompensé du prix de l’attractivité médicale 2024 de la Fédération hospitalière de France en mai dernier. S’il rencontre encore quelques écueils financiers et de recrutement, le modèle basco-landais convainc déjà – et pourrait bien faire des émules. Plusieurs établissements de santé ont contacté Frédéric Martineau pour essayer de monter une structure similaire dans leur région. En parallèle, sont apparus deux nouveaux PIMM public-public qui incluent de la téléradiologie en permanence de soins, les PIMM du Nord-Gironde et du GHT Touraine – Val de Loire. De quoi préfigurer l’avènement d’un nouveau modèle de téléradiologie publique ? « Chaque territoire a ses spécificités, et notre organisation n’est pas forcément transposable telle quelle ailleurs », nuance Frédéric Martineau.
Une nuit tranquille
Il est bientôt minuit à Bayonne, et tout se passe à merveille : les deux radiologues sont bien en deçà du rythme de 100 examens par nuit sur le PIMM. À Dax, Delphine Da Costa part faire une radio au lit en réanimation, avant de s’offrir une halte en salle de pause. Mais au bout d’une dizaine de minutes, une demande d’examen crânien arrive des urgences : Delphine Da Costa repart vers la salle de scanner. La radiologie ne dort jamais.
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